Il est une époque où les artistes produisent par dizaine, assistés par des centaines de petites mains, qui moulent, reproduisent, et dessinent sur des logiciels. C’est un avènement, celui de l’insoutenable légèreté de l’art, qui permet notamment à Jeff Koons de devenir l’un des artistes les plus riches du monde. Pendant plusieurs mois, et ce jusqu’à dimanche dernier, le Centre Pompidou lui a consacré une rétrospective. Il n’est pas trop tard pour découvrir cet artiste inspiré de la middle-class américaine.
L’homme de tous les superlatifs Jeff Koons, vient d’être célébré à Beaubourg. La rétrospective présentait de façon chronologique mais sans audace, des œuvres dans des espaces aérés, ouverts sur une scénographie simple. Chaque œuvre pouvant répondre aux suivantes ou inversement. Imaginez… Le voyage koonsien débute avec sa série des Inflatables, ouvrant un joyeux bal de plusieurs centaines de millions de dollars. Ces jouets gonflables, achetés à New York dans des boutiques de l’East Village, sont placés sur des miroirs.
Hommage aux readymade et à la culture pop, cette entrée en matière promet une découverte originale, celle des inspirateurs de Jeff Koons : Andy Warhol, Salvador Dali, Francis Picabia et bien sûr Marcel Duchamp, dont Koons ne cache pas son admiration : « Je pense que Fontaine est le symbole de la liberté des artistes et de ce que nous en faisons. » Des œuvres libres, symboliques et colorées attendent donc les curieux et amateurs d’art contemporain.
Au cœur de l’American way of life
Les œuvres de Jeff Koons sont un regard sur la société américaine : l’American way of life qui inspire très tôt ce gamin issu d’une famille de classe moyenne de Pennsylvanie. Il y a bien sûr des lapins roses gonflables, ces aspirateurs Hoover sous vitrine de sa série The New ou ses ballons de basket, en lévitation dans des aquariums, crées en 1983 pour sa collection Equilibrium, représentant à qui veut le voir, le désir d’ascension sociale.

Un peu plus loin, dans l’immense galerie, se dressent au centre quatre grandes statues, affolantes de kitsch, colorées et renvoyant à un imaginaire commun. Le Michael Jackson and Bubbles, tout en porcelaine, est magnifié à l’excès d’un style baroque et rococo. Le roi de la pop pourrait presque de cette façon, passer pour le Dieu tout puissant, placé entre deux autres œuvres : Buster Keaton et Bear and Policeman, en bois polychrome.
C’est pourtant sur la première sculpture que l’on revient et que l’on s’attarde : Ushering in Banality, de sa série Banality. Un summum de kitsch, que l’on trouverait plus facilement en figurine dans un vide-grenier, qui fascine et semble l’écho parfait du travail koonsien. C’est un jeu de dupe qui se trame derrière cette œuvre. Deux prétendus angelots, au regard démoniaque trainent un cochon, orné d’un nœud, poussé par un petit skieur en herbe. Si la nature hypnotique de ce Ushering in Banality n’est pas à débattre, il fait ressortir le caractère usurpateur de Jeff Koons, en réalité lisse et banal. Son œuvre est à cette image, foutraque et irréelle, complexe et naïve.
Des œuvres pour « abolir le jugement »
A chaque œuvre, le public se questionne sur la genèse et cherche sans doute des explications. Jeff Koons se défend : « Mon travail est contre la critique. Il combat la nécessité d’une fonction critique de l’art et cherche à abolir le jugement. » La série Banality sert à libérer le jugement de goût. Cela expliquerait alors son singulier sens esthétique, présent dans toutes ses œuvres, notamment dans sa série pornographique Made in Heaven, dans laquelle il se met en scène de façon explicite dans des univers naïfs et idylliques qui ne sont pas sans rappeler les photographies de Pierre et Gilles.

Son dernier coup de maître est la série des Gazing Balls, probablement la plus belle. Présentée à la sortie de la galerie, cette collection démontre l’admiration de Koons pour l’art, quel qu’il soit. Des répliques de chefs-d’œuvre de la sculpture classique se mélangent avec des objets du quotidien, en l’occurrence ces gazing balls, ornements de jardins typiques de la Pennsylvanie.
Pas de dénonciation chez Jeff Koons, juste un regard, une vision de la société de consommation, de l’uniformisation culturelle américaine. En cela, le commissaire d’exposition Bernard Blistène l’a bien saisi : il offre un regard sur une centaine d’œuvres de l’ancien trader, une vision d’ensemble sur ce qui fait aujourd’hui la notoriété démesurée de cet homme. Un homme qui défie tous les codes : plus de 6000 visiteurs par jour, des sculptures vendues à des millions de dollars et un univers dense mélangeant pornographie et jouets gonflables. L’œuvre de cet homme d’affaire est complexe, difficilement saisissable, en témoignait cette rétrospective.
Mon regret est d’avoir manqué cette exposition. Je ne suis pas particulièrement fan de l’art contemporain mais quand un artiste soulève autant de débats, j’aime beaucoup y mettre mon grain de sel. Koons est un artiste assez intriguant et la composition qu’il a fait en buis à NY en été 2014 m’a assez bluffé (je m’attendais pas à voir ce genre de chose devant le Rockfeller center, même si c’est un lieu propice à la démesure). Je ne fais pas partie des personnes qui s’insurgent de voir l’artiste à Versailles. Je suis moderniste dans l’âme (le XVIIIe siècle étant mon siècle artistique de prédilection) mais je regrette que son travail s’apparente plus à une industrie. Avoir 200 artistes qui travaille pour lui, Warhol avait sa Factory mais il était encore le laboratoire du futur. Jeff Koons est un artiste que j’apprécie regarder par curiosité mais de là à dire qu’il est un bon artisan (un artiste j’en doute pas)… Je pense qu’il a su comprendre les amateurs d’art aux porte-feuilles bien fournis.
J’aimeAimé par 1 personne