Tu ne tueras point

Dans Tu ne tueras point, Mel Gibson entraîne le spectateur aux côtés d’un homme d’exception, mi-saint, mi-martyr. Outre cette hagiographie ultra catho et dérangeante, le réalisateur offre une vision violente et hyper réaliste des zones de guerre : un brillant parti pris. En salles depuis le 9 novembre.


Mel Gibson n’a peur de rien. Après avoir accompagné Jésus jusqu’à son dernier souffle (La Passion du Christ, tourné en araméen et en latin), et suivi la chute de la civilisation Maya dans un film tout aussi controversé (Apocalypto), il s’attaque cette fois à un pan anecdotique mas passionnant de la seconde guerre mondiale. Dans Tu ne tueras point, il édifie un héros de guerre, Desmond Doss, en figure christique, s’élevant dans les cieux dans la dernière scène.

Drôle et romantique, Desmond (Andrew Garfield) fera tout pour séduite l'infirmière Dorothy (Theresa Palmer) © Cross Creek Pictures Pty Ltd / Mark Rogers
Drôle et romantique, Desmond (Andrew Garfield) fera tout pour séduite l’infirmière Dorothy (Theresa Palmer) © Cross Creek Pictures Pty Ltd / Mark Rogers

Desmond est membre de l’église adventiste du septième jour, fils d’un père traumatisé par la première guerre mondiale et d’une mère effacée, victime des colères de son mari. Il est généreux, romantique, drôle…. quand il rencontre la future femme de sa vie, il ne lui faut que peu de temps pour la convaincre de vivre avec lui. Le portrait est brossé, impeccable, sans défaut. Cet homme croyant et pratiquant est un homme bon. La Seconde Guerre Mondiale éclate alors et Desmond ne peut rester spectateur. Par patriotisme, il s’enrôle dans l’armée. Objecteur de conscience, il demande à être sur le front en tant qu’infirmier car jamais il ne touchera un arme ni s’en servira. « Tu ne tueras point » a dit le Seigneur.

Tu ne tueras point raconte le parcours atypique d’un homme aux idéaux incompatibles avec la violence de la guerre. Sa croyance et sa morale vont être confrontées aux moqueries des autres militaires, très caricaturaux, ne voyant en lui qu’un sot ridicule et inutile. Pourtant, Desmond, sous les traits d’Andrew Garfield, tout bouffi mais convaincant, va se révéler. Ne cédant à aucune bassesse ni humiliation, il reste, par patriotisme toujours, par fierté et courage sans doute. Sur le front, il va s’avérer être un héros de guerre incroyable. Lors de la bataille d’Okinawa, opposant les Américains contre les Japonais, il sauvera 75 combattants (le film raconte même qu’il aurait voulu sauver deux soldats ennemis). Un véritable exploit qui tient du miracle, selon Gibson.

Desmond face à la méprise de ses collègues, ici Smitty (Luke Bracey) © Universum Film / Cross Creek Pictures Pty Ltd / Mark Rogers
Desmond face à la méprise de ses collègues, ici Smitty (Luke Bracey) © Universum Film / Cross Creek Pictures Pty Ltd / Mark Rogers

Comment cet homme chétif a-t-il réussi à sauver tous ces militaires dans une zone de conflit bombardée et ce pendant des heures durant ? Ni une ni deux, l’acteur-réalisateur s’empare du sujet. Desmond est un saint : martyrisé par ses collègues, forcé à l’abandon et finalement acteur d’actions héroïques. Tu ne tueras point prend la forme d’une hagiographie, le portrait d’un homme mi-saint mi-martyr. C’est là où le bât blesse : notre homme n’aurait réalisé ces sauvetages que par la seule volonté divine. Les scènes sont explicites. Après chaque homme blessé ramené en lieu sûr, Desmond implore Dieu de pouvoir en sauver un autre. 75 fois. C’est indéniable : sa foi et sa persévérance forcent le respect. Pourtant le choix de Gibson d’utiliser des images d’archives à la fin de son film dérange. Face caméra dans un reportage avant sa mort en 2006, le vrai Desmond raconte son exploit avec les mêmes histoires vues dans le film. Par le choix de ces images, Mel impose un film de propagande chrétienne et flirte avec le mauvais goût.

Dans Tu ne tueras point, les scènes de reconstitutions de guerre pourraient subir les mêmes reproches. Certains seront choqués et dégoutés par le réalisme gore choisi par Gibson. Rarement, le front n’a été filmé de façon si brutale, si organique. Chaque détail est à l’écran, dans des scènes étirées au maximum toujours dans le même souci de réalisme. Il faut bien reconnaître à Gibson sa virtuosité et son don pour la mise en scène. Aussi lourdingue que fascinant, Tu ne tueras point est réservé à un public averti. Contrairement à ce que le titre pourrait sous-entendre, le film est loin d’être un manifeste non-violent…

13 commentaires sur « Tu ne tueras point »

  1. Ce n’est pas un film que j’irai forcément voir. J’ai tellement vu de films de guerre que cela m’a passé… mais je reconnaîtrai toujours le talent de Gibson. Il montre le monde tel qu’il est avec toute sa foi. Que l’on soit croyant ou non c’est une certaine vision du monde qu’il sait avec maestria mettre en valeur.
    Dans les films de Gibson, la violence est toujours présente, tout simplement parce qu’elle fait partie de notre monde, de nous. Moi non plus je ne suis pas croyante et ce côté « je prie donc je suis bon » m’énerve cependant il a le mérite d’exposer cette absurdité de la violence.
    Moi le cinéma de Gibson me fascine qu’il soit devant ou derrière la caméra parce qu’il questionne.

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  2. J’ai vu ce film aujourd’hui et je suis heureux d’avoir ton point de vue sur ce dernier. J’ai vraiment aimé ce film qui a le mérite de ne pas laisser indifférent. Le parti pris de Mel Gibson peut faire fuir et je le comprend mais je crois néanmoins que quand on est cinéphile, Mel Gibson fait parti de ces réalisateurs qui ont une vision, un univers, un sillon qu’il creuse film après film. Il a un côté « fascinant » je reprend le mot que tu as choisis car je trouve que c’est le bon. L’expérience en salle pour ce type de film vaut le coup. Merci pour cette bien jolie critique. Bonne soirée Camille ! 🙂 😉

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    1. Exactement ! Je ne regrette pas du tout de l’avoir vu en salles car ce fut une « vraie expérience ». Les scènes de guerre, d’une grande violence, sont aussi d’une rare intensité et de ce fait… fascinantes. Merci à toi pour ton commentaire !

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  3. Je viens de le voir et j’ai été happée du début à la fin, enfin un film de guerre qui montre le front de façon brut et je pense que cela à servie l’intrigue. Pour le côté religion, je dois dire que j’ai réinterprétée à ma manière, pour moi même si Desmond implore Dieu, il ne doit son exploit qu’à sa seule force et j’ai totalement mis de côté ce thème cela m’a donc moins affectée. Je ne sais pas si je suis vraiment claire…

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  4. J’ai adoré ce film de Mel Gibson et je ne trouve pas qu’il y ait de propagande christique. Ca part de la religion, il est certain qu’il y a des symboles (comme dans énormément d’oeuvres cinématographiques et littéraires, depuis la nuit des temps j’ai envie de dire), mais le propos est pour moi finalement bien plus universel. Ce qui est intéressant, c’est aussi cette connexion entre la violence et la religion et comment on peut transformer ce point en quelque chose de positif et humaniste. Les scènes de guerre sont juste ouffissimes, l’ensemble m’a juste énormément ému et Andrew Garfield est impeccable.

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