Carte blanche à Tino Sehgal au Palais de Tokyo

Présentée comme un évènement artistique majeur de l’année par la presse spécialisée, la « carte blanche » de Tino Sehgal avait de quoi attirer l’attention. Invité par le Palais de Tokyo, l’artiste anglo-allemand surprend avec un vaste projet, qui met l’humain au cœur de sa réflexion. Conçue comme un dialogue permanent, l’exposition ne manquera pas de séduire les passionnés d’art contemporain et de déstabiliser les sceptiques. À découvrir jusqu’au 18 décembre 2016.

Initiées par Philippe Parreno en 2013, les « cartes blanches » du Palais de Tokyo engagent les artistes à investir la totalité des 13 000 m² du bâtiment. Pour son exposition, Tino Sehgal a entièrement métamorphosé le centre d’art contemporain. Le spectateur découvre un bâtiment partiellement mis à nu, où seules les ossatures de poutrelles et de briques constituent le décor d’un projet insolite. Si la scénographie épurée mise sur l’immatérialité, le parcours tracé par Tino Sehgal n’en reste pas moins labyrinthique. Réunissant un ensemble d’œuvres dont une sélection de ses pièces majeures, l’artiste partage l’espace avec d’autres artistes comme Daniel Buren, Félix-Gonzáles Torres, Pierre Huyghe ou encore Isabel Lewis.

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Pour sa « carte blanche », Tino Sehgal a métamorphosé le centre d’art contemporain, mis a nu. ©Simon HOAREAU

Le spectateur, objet et sujet d’une expérience insolite

Après avoir écarté un immense rideau de perles (œuvre de Felix Gonzales Torres), le spectateur est accueilli par une question d’un(e) inconnu(e) : « qu’est-ce que l’énigme ? » (Enigme de 2016). La réponse n’aura formellement aucune importance mais cette entrée en matière annonce la couleur. Le sujet et l’objet de cette « carte blanche » ne sont autre que le visiteur lui-même. Une belle manière de bousculer la définition de l’œuvre. « Comment le visiteur se fait-il une place face à l’œuvre ? ». C’est l’une des questions soulevées par l’artiste et reprise par la commissaire de l’exposition Rebecca Lamarche-Vadel. Et quel meilleur moyen d’y répondre que de faire participer le public ?

Les œuvres se construisent sur des interactions sociales entre les figurants, danseurs, acteurs et les visiteurs. Pour mettre en œuvre cette expérience, Tino Sehgal a collaboré avec plus de 300 participants, ni artistes ni performeurs mais simplement des personnes recrutées par l’artiste, âgées de 8 à 82 ans. Se relayant sur des cycles de deux à quatre heures, chaque groupe occupe un rôle précis. Aussi indépendantes qu’elles peuvent le paraître au premier regard, les actions interagissent entre elles et esquissent l’organisation d’un espace social complexe. Il n’est pas question d’observer passivement des œuvres d’art inanimées ni des performances ; Tino Sehgal préfère créer des situations où la parole est reine. Il déjoue en ce sens les normes conventionnelles de l’exposition et repousse les règles du jeu de sa visite.

« These Associations » (2012) de Tino Sehgal met en scène, au premier niveau du centre, une nuée de participants qui court, danse, chante, discute avec des visiteurs déboussolés. ©Simon HOAREAU

Renouveler le champ des arts visuels

Outre la parole, la danse et le chant constituent un point névralgique de la poésie visuelle de Tino Sehgal (chorégraphe de formation). Au premier niveau du Palais, une nuée de danseurs sans uniforme court, s’immobilise, chante, se mêle aux curieux, leur pose des questions (l’œuvre These Associations, 2012). D’autres espaces confrontent le promeneur à l’humidité, la solitude ou encore à l’inconnu. Dans une salle plongée dans l’obscurité, la vibrante This Variation (2012) déploie une action artistique autour du chant, de la danse et de l’émotion. Les spectateurs y entrent à tâtons, se heurtent à des étrangers qui n’hésitent pas à les prendre dans leurs bras. La pièce la plus troublante est aussi la seule qui impose la passivité au public. Accompagnée d’un garçon, une petite fille interroge sa nature d’œuvre d’art vivante, avec une apparente naïveté (le prolongement d’Ann Lee, créée par Tino Sehgal en 2013).

Pièce maîtresse de cette « carte blanche », l’œuvre This Progress (2010) occupe tout un autre niveau du bâtiment. Le visiteur est invité à déambuler lors d’une conversation qu’il parcourt comme une/sa vie. Il y est d’abord accueilli par un enfant, lui demandant : « qu’est-ce que le progrès ? ». Quelques minutes plus tard, une adolescente prend le relais de la conversation (« Pensez-vous avoir évolué dans votre vie ? »). Aussi soudainement apparu, la jeune personne disparaît au profit d’un adulte partageant sa peur la plus profonde (« J’ai peur quand je me trouve sur un bateau »). Plus tard, un grand-père narre une anecdote avant de conclure le voyage par : « c’est une histoire personnelle que j’ai voulu partager avec vous ». Tino Sehgal inscrit donc « son progrès » à plusieurs niveaux et dévoile une dimension thérapeutique fondée sur la bienveillance et l’attention à l’autre. Néanmoins cette (re)connexion avec l’humain n’est pas sans limites.

« Ann Lee » (2013) de Tino Sehgal questionne les conditions d’existence d’une oeuvre d’art. © esquisse de Philippe Parreno pour le Palais de Tokyo en 2013

Étrangement, on ressort de cette « carte blanche », quelque peu frustré par cette participation illusoire. Très vite, les échanges humains apparaissent cadrés et millimétrés. Le spectateur peut en faire l’expérience en bousculant (gentiment) ou en testant les participants engagés par l’artiste. Quand ces derniers n’esquivent pas habilement les intrusions, ils n’hésitent pas à fuir et disparaître, laissant des questions sans réponses. La chorégraphie de This Progress est minutée et ne laisse aucune place à l’improvisation. Un parti-pris assumé par l’artiste qui s’attache davantage à surprendre et éprouver un spectateur plutôt que d’expliciter son œuvre. Une des raisons pour lesquelles Tino Sehgal déconseille vivement que l’on filme ou que l’on photographie sa « carte blanche ». Aussi construit qu’il soit, l’art immatériel doit conserver sa part de mystère. Si l’intention est noble et la dimension esthétique indéniable, celle de l’émotion se montre plus variable.

Carte blanche à Tino Sehgal, au Palais de Tokyo (Paris), du 12 octobre 2016 au 18 décembre 2016.

2 commentaires sur « Carte blanche à Tino Sehgal au Palais de Tokyo »

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