Présenté à l’Acid à Cannes en 2016, La Jeune Fille sans mains est l’adaptation d’un conte éponyme et méconnu des frères Grimm. Traçant les périples d’une adolescente vers l’émancipation, l’œuvre de Stéphane Laudenbach témoigne de la vivacité du cinéma d’animation à illustrer la danse de la vie sans fausse pudeur. Un ravissement pour les yeux à découvrir en salles, le 14 décembre 2016.
Les films d’animation français ont décidément le vent en poupe. Après le succès surprise et mérité de La Tortue Rouge, après avoir ému avec Ma vie de Courgette, le genre conclue l’année avec le très attendu Louise en hiver et le plus confidentiel La Jeune Fille sans mains. Librement adapté du conte mélancolique des frères Grimm et inspiré par une adaptation d’Olivier Py (La Jeune Fille, le diable et le moulin), ce dernier projet est né sous les traits de Stéphane Laudenbach. Faute de financement, le Français a assuré seul la réalisation, les dessins et la direction artistique de son œuvre. Un travail de longue haleine – plus de neuf mois – où le film a été peint sur papier, du premier au dernier plan.
Raconter la violence humaine avec grâce
La Jeune Fille sans mains plonge le spectateur dans un monde et une époque inconnus. À la lisière d’une forêt, un vieux meunier vit avec sa femme et sa fille. Pauvre et désespéré, l’homme accepte un jour de conclure un marché avec le diable. Ce dernier lui promet une richesse infinie à une seule condition : le père de famille doit lui céder ce « qui se trouve derrière sa maison ». Le vieil homme ignore alors que l’objet convoité n’est autre que sa fille. Mais la jeune adolescente est bien trop pure pour le démon. Ce dernier exige alors que le meunier tranche les mains de son enfant… Rien n’y fait, la jouvencelle reste inaccessible. Le diable disparaît en jurant qu’il trouvera un moyen de la posséder tôt ou tard. Fuyant son destin et sa famille, la malheureuse va rencontrer, lors d’un parcours semé d’embuches, la déesse de l’eau, un jardinier attentionné et un prince.
Sébastien Laudenbach prend quelques libertés avec le matériau original et préfère se concentrer sur une petite poignée de personnages. Loin d’être une version expurgée du conte des frères Grimm, La Jeune Fille sans mains ne cède pas à la facilité d’une lecture psychanalytique. Son adaptation évoque avec finesse la célébration du corps, la difficulté de l’émancipation, le passage de l’enfance à l’âge adulte mais aussi la lâcheté des hommes et la noirceur de la nature humaine. Malgré ses thèmes parfois durs, l’œuvre saura trouver un écho auprès des plus jeunes. Le cinéaste aère la charge allégorique, remplie de violence et de désespoir, par une animation gracieuse. Et si La Jeune Fille sans mains devait sa splendeur aux délicates conditions de sa naissance ?
Une esthétique immersive
À rebours de ce qui se fait actuellement dans le genre, La Jeune Fille sans mains surprend par ses choix esthétiques. Le dessin de Laudenbach célèbre une esquisse à mi-chemin entre Matisse et la calligraphie chinoise. Parsemée d’espaces vides, l’image n’est jamais finie et laisse une place pour l’imagination du spectateur. Organique, l’animation trouve toute sa cohérence dans les mouvements. Les personnages glissent alors dans une magnifique profondeur de champs qu’offre la nature métaphorique du conte. Les plus beaux tableaux sont aussi les plus ordinaires : les personnages qui respirent, le vent qui souffle dans les arbres… Lorsque la violence et la crudité investissent l’écran, les contours des silhouettes se désolidarisent des aquarelles censées les remplir. Visuellement merveilleux, La Jeune Fille sans mains convie également d’autres sens. En témoigne la grande richesse de la bande sonore, sublimée par la musique originale d’Olivier Mellano et les voix d’Anaïs Demoustier (la jeune fille) et de Jérémy Elkaim (le prince) dans les rôles principaux.
Si le dessin donne une impression hésitante, les personnages existent bel et bien. Incarnant davantage des figures en quête d’elles-mêmes que de simples caractères, ils illustrent une incompréhension entre les sexes. Prisonnière de la violence et du désir qu’elle suscite, l’héroïne devient pour ses homologues masculins un espoir vers la rédemption. Cet écart prend toute son ampleur dans les exils successifs de la jeune fille. Le premier lorsqu’elle fuit son père ; le second lorsqu’une fois mariée à son prince, elle croit ce dernier devenu fou. À ces séquences de périples, Sébastien Laudenbach y juxtapose des moments d’attente et d’immobilité gracieux. Puissant, La Jeune Fille sans mains jette un regard solaire et optimiste sur une histoire cruelle. Privée de ses mains, l’héroïne trouvera son chemin vers la lumière, grâce un amour réparateur et (re)conquérant. Une fable intemporelle, qui démontre que le cinéma d’animation est peut-être le seul genre cinématographique à pouvoir raconter le monde de manière aussi pure.
Les dessins ont l’air magnifiques !
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Oui et ils le sont encore plus en mouvement. 🙂
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Joli article qui donne envie de se pencher de plus près sur cette histoire et aussi sur le conte des frères Grimm 🙂
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Merci ! 🙂
J’espère qu’ils te plairont.
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Merci pour ce partage, je ne connaissais pas du tout; Ta critique me rend curieuse et j’ai envie d’en découvrir plus.
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Merci, j’espère qu’il te plaira. N’hésite pas à revenir donner ton avis. 😉
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