Un jeune inspecteur emménage dans un nouveau quartier et soupçonne bientôt son voisin d’être un dangereux psychopathe. Quelques mois après le Secret de la chambre noire, Kiyoshi Kurosawa délaisse le registre fantastique et renoue avec le thriller horrifique mâtiné de mélodrame. Le résultat est aussi ténébreux que fascinant. En salles depuis le 14 juin 2017.
Dès ses premières minutes, Creepy, librement adapté du roman éponyme de Yutaka Maekawa, nous plonge dans un univers lugubre. Dans une salle d’interrogatoire, l’inspecteur Takakura (Hidetoshi Nishihima) s’entretient avec un jeune tueur en série. Les choses dégénèrent lorsque ce dernier s’enfuit et prend une femme en otage. Il finit par la tuer et blesser Takakura, avant d’être abattu. Un an plus tard, Takakura a renoncé à ses fonctions et enseigne la criminologie à l’université. Avec son épouse Yasuko (Yuko Takeuchi), il s’installe dans un nouveau quartier résidentiel de Tokyo. Sous les conseils et l’empressement de Yasuko, le couple souhaite se présenter au voisinage. Mais sans succès. Plus tard, Takakura est contacté par son ancien collègue Nogami. Ce dernier lui demande d’enquêter sur une affaire non élucidée : la disparition d’une famille entière, à l’exception d’une adolescente qui n’a aucun souvenir des événements…

Au même moment, Yasuko fait la rencontre de Nishino (Teruyuki Kagawa), un voisin mystérieux. Glaçant le jour de leur rencontre, l’homme se montre, le lendemain, étrangement plus amical et démonstratif. Presque loufoque. Sa jeune fille Mio (Ryôko Fujino), silencieuse et farouche, préfère quant à elle garder ses distances avec la femme au foyer. Le malaise survient lorsque Yasuko demande à rencontrer l’épouse de Nishino. L’homme refuse catégoriquement et met en garde, plus tard, Takakura sur le comportement intrusif de son épouse. Le couple redoublera quand même d’efforts pour maintenir des relations cordiales avec cet individu instable. Un jour, alors qu’il rentre chez lui, Takakura tombe sur Mio. La jeune fille lui confie alors que l’homme qui vit chez elle n’est pas son père mais un parfait inconnu…
Avec Creepy, Kurosawa démontre une nouvelle fois sa maîtrise de l’angoisse et son appétence pour les fausses-pistes. À bien des égards, son nouveau long-métrage emprunte les chemins tortueux de Cure, qui l’avait révélé en 1999. Le réalisateur retrouve ici ses premiers amours : les tueurs en série et leur emprise psychologique. Au cœur de ce conte horrifique, le personnage de Nishino dénote dans le paysage des psychopathe auquel le cinéma occidental nous avait habitués. De sa démarche maladroite et à ses expressions crispées, Nishino suscite le malaise chez ses interlocuteurs, la répulsion chez les spectateurs. Ses « méthodes criminelles » – dont nous ne dévoilerons ni les tenants ni les aboutissants – relèvent d’une profonde perversité, si bien qu’elles nous donnent l’impression d’avoir côtoyé le Mal durant deux heures.

Aucune empathie n’est permise chez Kurosawa. L’horreur, à son état le plus pur, n’est ni justifiée ni raisonnable. Si Nishino, incarné par le terrifiant Teruyuki Kagawa, épouse parfaitement la figure diabolique, le cinéaste interroge également la part d’ombre de chacun de ses personnages. À commencer par Yasuko, l’épouse exemplaire qui s’enlise progressivement dans un quotidien monotone. Sa persévérance à vouloir sympathiser avec Nishino la conduira finalement à laisser entrer la terreur dans son foyer…Et ce, aux dépens d’un Takakura, bien trop absorbé par sa nouvelle enquête. Sous ses apparences de polar poisseux, Creepy dévoile peu à peu des motifs de mélodrame amoureux et familial. Car Nishino ne s’emploie jamais à détruire l’individu mais la cellule familiale.
Aussi insidieux que son antagoniste, Kurosawa contamine son intrigue de trouvailles macabres, parfois rocambolesques. Dans ce récit complexe, le réalisateur préfère le hors-champ à l’explicite. Diffuses, les visions de terreur donnent à voir un Nishino figé dans l’ombre d’un tunnel ou au travers d’une porte vitrée opaque. Le long-métrage séduit davantage lorsque le cinéaste, aidé de sa chef opératrice Akiko Ashizawa, s’empare de décors ordinaires tels une salle de cours pour en faire le théâtre d’un récit sordide. Doucement, les pièces s’assombrissent et s’amoindrissent jusqu’à faire basculer le spectateur dans une rêverie inquiétante. Au même titre, l’urbanisme de la ville devient l’écrin de l’étrangeté lorsque Takakura, situé sur une colline, se rend compte que les habitations de son quartier rappellent étrangement le lieu du crime sur lequel il enquête.

Si la première heure séduit par un minimalisme propre au cinéma japonais, la seconde moitié du film s’agrémente de scènes plus folles, plus lyriques. Le fantastique se déploie plus tard lorsque les héros pénétreront, tour à tour, dans la demeure de Nishino. Déjà sinistre en apparence, la maison révèle un visage bien plus glauque. Son sous-sol est un capharnaüm cauchemardesque dans lequel l’antagoniste s’emploie à « posséder » ses victimes. Bien souvent, le burlesque et la sournoiserie se mêlent aux atrocités et donnent alors tout leur sens au titre du film. La lumière presque éthérée du quartier cède la place à une obscurité nauséeuse aussi bien visuelle que morale. Sous ses airs apocalyptiques, le dernier acte de Creepy ne parviendra jamais à dissiper cette sensation de mal-être.
Bien…
Bah ca a l’air tout simplement énorme. Je note 😀
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Si tu aimes les premiers films de Kurosawa, il y a de grandes chances que tu aimes celui-ci. En revanche, si tu apprécies davantage ses œuvres fantastiques telles que « Real » ou « Vers l’autre rive », « Creepy » s’en détache tant sur la forme que sur le fond. J’aurais aimé un peu plus de folie et de noirceur mais le malaise et la dimension « creepy » est total ! 🙂
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Super, je n’ai pas encore vu le film. Mais par contre le roman est paru il y a quelques mois, je l’avais chroniqué .
https://nounours36.wordpress.com/2017/04/06/creepy-de-yutaka-maekawa/
Le film doit donner une autre dimension à ce roman !!!!
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Merci pour ton commentaire ! Je n’ai malheureusement pas encore eu l’occasion de lire le roman. Mais il me tarde de le découvrir.
N’hésite pas à revenir me/nous faire part de ta comparaison avec le matériau d’origine. 😉
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Très belle critique Simon ! j’espère que le film sera diffusé ici, je croise les doigts 😉 Passe une belle journée 🙂 🙂
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Merci Frédéric ! Au plaisir d’échanger avec toi, sur ce film, prochainement ! 😉
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